Cotahuasi, magnifique inconnu porteur d’émotions
Du 25 au 30 avril
Jour 1 : rando nocturne et planification
Souvenez-vous, le 24 au soir nous montions dans le bus pour Cotahuasi, la ville principale du canyon du même nom, bien moins connu que le canyon de Colca. Nous sommes assis à côté de deux péruviens en visite dans leur région d’origine et ils nous vantent les mérites du canyon, tout en montrant leurs photos sur leur tablette : cela a vraiment l’air très beau et il y a même une plante qui fleurit au bout de 100 ans avant de mourir. Nous sommes bien contents d’aller voir tout cela ! Nous avons choisi de visiter le canyon de Cotahuasi car il est oublié des touristes, pourtant il s’agit du canyon le plus profond du monde (en tout cas d’Amérique, il y a débat avec certains canyons népalais) du haut de ses 3535 mètres.
Cotahuasi se situe à 10 heures de bus d’Arequipa, 379 km, quand la route est intacte ! En l’occurrence, pas cette nuit : nous nous arrêtons à 4h du matin à 7 km du village car la route est détruite par un glissement de terrain et il nous faut marcher pour rejoindre le tronçon en contre-bas. Et ce n’est pas une mince affaire : il fait nuit noire bien sûr et nous devons descendre un mini chemin très pentu et glissant pendant 40 minutes ! Nous ne sommes pas les plus à plaindre : nous sommes peu chargés et avons des frontales, mais certaines personnes disparaissent sous leurs affaires et tiennent à la main des enfants effrayés. Un drôle de parcours nocturne… nous montons donc dans le deuxième bus qui doit nous mener au terminal de la ville.
Deuxième surprise : le bus n’y va pas car il y a aussi un souci de route dans le village. Nous voilà donc à l’entrée du village, en train d’errer à 5h du mat, sans trop savoir que faire. Aucun café n’est ouvert et comme il fait frais, cela n’est pas très tentant de s’installer sur un banc. Nous partons donc au terminal de bus, fermé lui aussi. Nous recherchons alors un spot pour admirer le lever de soleil sur les montagnes : nous le trouvons en bas du cimetière, particulièrement tranquille à 6h.
Il est ensuite temps de prendre notre petit déjeuner, qui sera local et bien loin de notre classique baguette. Ici, le matin, les plats tiennent au corps : cela sera riz, pommes de terre et viande. Bon avec cela, on devrait être calés pour quelques heures !
Nous cherchons l’office du tourisme mais il n’ouvre qu’à 10h. Nous souhaitons partir avec le collectivo de 15h pour le village de Charcana, dans la partie sud du canyon et sommes à la recherche d’informations car il n’y a rien dans les guides.
Pour nous occuper et comme il n’y a pas de café dans cette ville, nous décidons de nous rendre aux thermes de Lucha, un peu plus au nord. Nous prenons le collectivo de 9h pour 45 minutes de route. Je m’endors mais Thomas veille : nous descendons au bon moment. Le complexe thermal vu de haut est très beau, dans un écrin de verdure. De près c’est une autre histoire : l’un des bassins est en réparation, l’autre franchement défraîchi. Pas grave, nous avons les lieux pour nous et cela ne coûte que 3 soles (moins d’1 €) par personne. Nous bénéficions même d’un bassin privé que le gérant rempli d’eau chaude de la source juste pour nous. Nous passons un bon moment au soleil avant de retourner à Cotahuasi.
Il est presque 13h et l’office du tourisme est ouvert. Nous collectons les informations sur le sud du canyon pour notre randonnée puis continuons à discuter. Nous apprenons que le mari de l’employée, guide dans la région, inaugure un tour de deux jours qui part demain. Cela coûte 115 soles, tout compris, juste de quoi couvrir les frais. Cela semble intéressant car si nous devions tenter l’expérience par nous même cela reviendrait au même prix, mais prendrait plus de temps car il n’y a généralement qu’un bus par jour d’un hameau à l’autre et nous aurions donc besoin d’un jour de plus pour atteindre le bout du canyon.
Nous nous laissons tenter par l’aventure et devons donc trouver un logement dans Cotahuasi : c’est chose faite pour 30 soles à l’auberge Don Justito.
Il nous reste à occuper notre après-midi : nous nous baladons lentement, dévorons nos sandwiches et patientons avant un dîner frugale (pain / fromage) dans la chambre. Au terme de cette ligue journée, nous éteignons vers 20h30.
Jour 2 : en route vers Puyca
Debouuuuut ! Il est 4h45, le réveil sonne : on vient nous chercher à 5h30 pour le début de l’exploration du canyon. Henry, le guide, est finalement là à 5h20 : en voiture. Nous faisons la connaissance du chauffeur, Abdel, d’une passionnée de la région, Cathy, et son ami Walter, ainsi que de deux autres touristes : Janet de Hollande et Leila de Martinique.
Le soleil se lève sur des paysages magnifiques : le canyon est très vert et nous faisons des arrêts photos. Nous serons d’ailleurs certainement sur la brochure publicitaire de ce tour car Henry prend plein de photos du groupe !
Vers 7h, nous faisons une brève pause à Alca, juste le temps de boire un verre de jus de pomme chaud au quinoa. C’est pas mal mais très sucré.
Nous atteignons Huacctapa vers 9h30 et sommes accueillis en grande pompe par 4 femmes en costumes traditionnels colorés, dont la Señora Maria : une très belle table fleurie nous attend pour le petit-déjeuner. Il se compose d’avocat, de riz, d’oeufs ou truite, de pain, beurre, café et infusions d’herbes fraîches. C’est un régal et nous nous resservons avec délice. Nous partons ensuite jusqu’au mirador pour une promenade digestive en compagnie de nos hôtes, qui nous ferons même l’honneur de chanter en quechua. Nous sentons que nous vivons un moment rare et encore authentique.
Nous roulons ensuite jusqu’au hameau de Lauripampa, au bout du canyon, pour admirer les Puyas de Raymondi, ces fameuses plantes qui ne fleurissent que tous les 100 ans et qui mesurent jusqu’à 7 mètres. Malheureusement, les fleurs sont fanées. Cela reste impressionnant et le cadre mérite largement le détour ! Thomas apprend même à tirer au lance-pierre avec un des habitants.
Nous traversons le hameau pour observer très rapidement la vie des habitants : Thomas sarcle les pommes de terre, nous voyons des lamas et des cuyes (cochons d’inde, plat typique péruvien) puis arrivons chez nos hôtes du “midi” (il est 15h). Nous tombons sur une française qui y séjourne en volontariat pour une semaine : pas facile pour elle d’être coupée du monde d’autant que la famille parle essentiellement quechua. Nous sommes dans des villages reculés où l’électricité est arrivée il y a 2 ans, ce qui a forcé les habitants à se regrouper.
J’ai le droit de revêtir la tenue traditionnelle et d’un cours accéléré au métier à tisser : tout le monde a bien rit en me voyant ainsi vêtue, assise sur une mini chaise ! C’est dans une bonne ambiance que nous passons à table, pour déguster deux variétés de pommes de terre et de la salade avec un peu de fromage. Les portions sont énormes et nous ne parvenons pas à finir. La française qui loge ici nous a expliqué avoir été malade à force de manger trop de riz et pommes de terre mais sa famille se vexe si elle ne finit pas. Dur !
Quelques dernières photos avec nos hôtes, parmi lesquels je me sens grande, et nous repartons en voiture, vers Puyca.
Nous y arrivons à la nuit tombée et sommes répartis dans différentes auberges. Notre hôte est très sympathique et nous propose même une petite couverture de laine avec broche pour mettre sur nos épaules. Son mari, Cesar, nous fait découvrir le village avant de nous amener dans une autre auberge, pour le dîner.
Il n’est que 19h aussi nous n’avons pas très faim. Nous ne parvenons pas à finir la crème de maïs, très dense, de l’entrée. Pour le plat principal, nous avons de la truite, du riz et des pommes de terre. Heureusement nous pouvons nous servir en quantité raisonnable. Nous filons ensuite nous coucher dans une chambre propre et rudimentaire, non chauffée bien sûr, mais il y a comme d’habitude une montagne de couvertures sur le lit.
Jour 3 : d’un bout du canyon à l’autre
Pour le petit-déjeuner, nous retournons à l’auberge de la veille. Nous grignotons maïs, pain et fromage pendant que Henry nous interroge sur notre vécu de cette expérience. Il cherche à développer le tourisme communautaire et nos avis lui permettront de finaliser le parcours.
C’est ensuite le moment de prendre des photos, en tenue traditionnelle pour tout le monde ! Nous voilà bien beau. Nous sommes bien plus grands qu’eux, mais aussi plus minces, aussi ce n’est pas facile de nous équiper.
Pour finir cette matinée, nous grimpons sur les hauteurs de la ville pour admirer de magnifiques ruines pré-incas. Le site est assez grand et les fleurs y apportent un voile jaune et bleu qui embellit encore les lieux. Nous nous arrêtons notamment devant la seule construction Incas : des bains publics. Plus loin, nous découvrons quelques os humains dans l’ancien cimetière. Le site a été habité depuis longtemps par les hommes du fait de son positionnement physique (en hauteur sur du plat) et géographique (partie fertile du canyon). Lorsque les incas ont découvert les lieux, ils n’ont fait aucune modification et se sont adaptés. Le site est bien conservé car les espagnols n’y sont pas allés, il n’y avait pas d’or. Ainsi, rien n’a été détruit mais le village a été abandonné car les hommes sont partis travailler dans les mines espagnoles.
Il est temps de quitter les lieux : nous effectuons le trajet retour jusqu’à Alca avec le groupe et, comme Thomas et moi devons ensuite attraper un bus à Cotahuasi, Henry nous indique un collectivo que nous prenons pendant que les autres restent manger.
Ce fut une bien belle expérience, riche en paysages et en rencontres ! Nous avons reçu un accueil chaleureux et spontané des locaux, sans être vu comme des portes monnaies et c’est bien agréable.
Mais la journée n’est pas finie : nous achetons du poulet avec du riz et des frites au terminal de bus et mangeons dans la navette qui nous conduit à Charcana : nous sommes les seuls touristes. La route serpente pendant 3 bonnes heures dans le canyon, qui devient de plus en plus sec et profond : les paysages sont à couper le souffle, offrant mille nuances d’ocre parsemées d’oasis verdoyants. La navette se remplit de paysans aux costumes colorés et nous arrivons enfin sur la place d’armes de ce petit bourg perdu à 3417 mètres d’altitude.
Nous y cherchons la Señora Candelaria, conseillée par l’office du tourisme, mais sans succès. Finalement une petite grand-mère nous aborde et nous emmène à son auberge. Elle dispose de logements sommaires pour 10 soles par personne. Nous acceptons car il ne semble pas y avoir d’autres solutions.
Nous parcourons ensuite les petites ruelles pavées de ce village en pierre et adobe. C’est mignon et les enfants courent dans tous les sens sur la place du village. Pour le dîner, c’est vite vu : un seul un comedor sur la place d’armes, il propose un plat unique. Nous mangeons donc du poulet, du riz et des frites tout en discutant avec la gérante, Janet, et une petite dame. Nous ne savons pas trop quelles questions poser et, elles, nous posent des questions d’apparence banale mais qui nous mettent mal à l’aise dans ce contexte. Elles nous demandent notre âge par exemple et sont un peu choquées par la réponse : la gérante semble avoir seulement trois ou quatre ans de plus que nous mais son fils a au moins 13 ans. Puis, elles nous demandent le prix du billet d’avion Paris-Lima… bref, l’on ressent fortement le décalage de vie ! Nous rentrons donc assez vite nous coucher.
Jour 4 : 19 km à pied, dont 1800 mètres de dénivelés négatifs
Nous nous réveillons vers 7h et il fait déjà beau et chaud. Nous n’avons pas le courage de manger du riz, des frites et de la viande chez Janet mais nous lui achetons des bananes et prenons une tisane en guise de petit-déjeuner.
Nous partons ensuite en direction de Picha et ses 12 habitants (d’après un blog). Nous avons 10 km à parcourir sur un terrain relativement plat, pour changer de vallée. Nous ne croisons que quelques paysans avec leurs animaux (ânes, moutons et vaches) en début de parcours puis la nature sauvage et puissante s’offre à nous. Nos sens sont sollicités de toutes parts : les paysages sont incroyables et immenses, les plantes aromatiques et les fleurs embaument l’atmosphère d’un doux parfum et les oiseaux pépillent. Nous n’avons pas testé le piquant des cactus par contre.
Nous atteignons Picha après déjà 2h30 de marche mais continuons la route : les rares habitants sont au champ, en contre-bas.
Nous effectuons une halte une heure après pour couper un peu la grosse descente de 1800 mètres de dénivelés sur 8 km. L’endroit est sauvage et les traces de l’homme bien ténues, le canyon de plus en plus sec nous rappelle les quebradas argentines. Nous profitons des lieux entre deux glissades : le sol est composé de terre et cailloux, assez pentu et au bord du ravin, nous faisons donc attention mais cela n’empêche pas les dérapages. Pas de chute à déclarer cependant ! Ce fut néanmoins assez éprouvant pour les genoux et nous sommes bien contents d’atteindre enfin la rivière Cotahuasi.
Nous nous délaissons, les pieds dans l’eau fraîche, après 6h30 de marche dans un cadre de toute beauté puis parcourons le dernier kilomètre jusqu’au hameau de Quechualla, véritable oasis au milieu du désert à 1665 mètres au dessus du niveau de la mer. Ce paisible village aux ruelles de pierre et maisons de terre est parcouru par les canaux d’irrigation. Les vignes et les plants de fruits de la passion ombragent les cours et les ruelles, nous nous y sentons bien.
Nous atteignons la petite église sans croiser âme qui vive, aussi nous patientons un peu dans l’espoir de trouver Janet, encore une autre, qui nous a été conseillée par l’office du tourisme de Cotahuasi. Coup de chance, la première personne que nous croisons est la bonne ! Cette cinquantenaire dynamique nous accueille à bras ouverts et avec les oranges et fruits de la passion de son jardin !
Nous prenons possession de notre chambre, propre et sommaire avec bien sûr 4 couvertures sur le lit. Bien que l’eau est froide, nous profitons de la douche pour nous rafraîchir après cette journée de marche, d’autant qu’il fait encore bon au fond du canyon.
La nuit tombe déjà sur la vallée, il est à peine 17h30. Nous reparcourons les trois rues du village avant de nous attabler vers 19h devant une soupe, puis une grosse assiette de riz, frites et oeufs. Nous discutons avec nos hôtes et apprenons que le village a été raccordé à l’électricité il y a 1 an et la route qui le relie à Cotahuasi existe depuis seulement 6 mois ! Il reste peu d’habitants mais tous vivent en autarcie. Ainsi, ils ont leur café, thé, herbes, fruits, légumes, oeufs et viande. Ils pêchent dans la rivière et n’achètent que le riz, l’huile et le phosphore (pour les légumes). Ils ne produisent pas en assez grande quantité pour vendre cependant. Une vie bien différente de la nôtre, simple et probablement sans autre objectif que d’aller au champ pour se nourrir mais les gens ne semblent ni pauvres ni malheureux. Nous voilà bien loin des rythmes effrénés des grosses villes occidentales.
Jour 5 : retour à Arequipa
La nuit fut bien calme et nous nous levons en forme vers 6h30. Nous nous attablons devant une assiette de riz, frites, oeuf et courge. J’ai du mal à finir ! Il n’y a malheureusement plus de café torréfié du jardin mais le maté (tisane) est très bon. Nous feuilletons le registre de l’auberge : il n’y a pas eu de touristes depuis février ! Autre constat : ce canyon était mentionné dans les anciennes versions du Routard, ce qui amenait de nombreux français, mais les versions récentes n’en parle plus et il n’y a quasiment plus de français ! Comme quoi, les guides font et défont les réputations des lieux.
Nous quittons nos hôtes vers 8h pour rejoindre la route, qui ne va pas jusqu’au coeur du hameau, et attendons le collectivo au milieu des ânes et des bidons de vin, destinés à être vendus sur le marché.
C’est parti pour deux heures de route dans un cadre où l’ocre se décline en nombreuses teintes. C’est vraiment superbe et le fait d’être les seuls touristes renforcent la magie des lieux. Nous savons bien que nous vivons des moments rares et précieux car si le tourisme se développe, cela entraînera de fait des modifications. En attendant, les habitants de cette vallée, d’origine espagnol contrairement au nord du canyon, vivent au rythme des saisons.
A Cotahuasi, nous avons le temps de déjeuner avant notre bus pour Arequipa : nous choisissons avec soin des plats qui ne contiennent ni riz, ni pomme de terre car nous saturons un peu !
15h30, le bus part pour nous amener en bas de la route détruite. En une semaine, ils ont eu le temps de construire une route de substitution, néanmoins trop étroite et pentue pour les bus : nous mettons seulement 20 minutes à rejoindre le bus qui nous attend en haut et c’est parti pour quelques heures de route.
Nous parvenons à Arequipa à 1h du matin, soit bien plus tôt que nous pensions, aussi nous rejoignons notre auberge en taxi. Par chance, il reste une chambre, ce qui nous permet de dormir confortablement.
Jour 6 : derniers moments à Arequipa
Nous nous levons tranquillement et restons à l’auberge une bonne partie de la journée. Nous allons juste au marché pour acheter de quoi cuisiner pour le midi et le soir et c’est l’occasion de prendre quelques dernières photos.
Au terme de cette calme journée, nous décidons de rejoindre le terminal de bus en collectivo avec tous nos sacs. Celui-ci est bondé, même un dimanche, et nous voyageons avec nos gros sacs sur les genoux, pliés en quatre. Nous descendons avec soulagement et attendons notre bus pour Cusco, départ à 20h, pour un trajet de nuit, qui se déroulera sans encombre.